mardi 23 février 2010

la plus drôle des créatures

La plus drôle des créatures

Comme le scorpion, mon frère,
Tu es comme le scorpion
Dans une nuit d’épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
Tu es comme le moineau
Dans ses menues inquiétudes.
Comme la moule, mon frère,
Tu es comme la moule
Enfermée et tranquille.
Tu es terrible, mon frère,
Comme la bouche d’un volcan éteint.
Et tu n’es pas un, hélas,
Tu n’es pas cinq,
Tu es des millions.
Tu es comme le mouton, mon frère,
Quand le bourreau habillé de ta peau
Quand le bourreau lève son bâton
Tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
Et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier.
Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
Plus drôle que le poisson
Qui vit dans la mer sans savoir la mer.
Et s’il y a tant de misère sur terre
C’est grâce à toi, mon frère,
Si nous sommes affamés, épuisés,
Si nous somme écorchés jusqu’au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute, non
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.


Nazim Hikmet

tu vas mourir, vieille Maria

Tu vas mourir, vieille María

Tu vas mourir, vieille María,

Je veux te parler sérieusement :

ta vie fut un rosaire entier d'agonies,

elle n'eut ni homme aimé, ni santé, ni argent,

juste la faim à partager;

je veux parler de ton espérance, des trois espérances distinctes

qu'a fabriquées ta fille sans savoir comment .

Prends cette main d'homme qui paraît être celle d'un enfant

dans les tiennes usées par le savon jaune.

Frotte tes cals durs et les noeuds purs de tes doigts

à la honteuse douceur de mes mains de médecin .

Écoute, grand-mère prolétaire :

crois en l'homme qui vient,

crois dans l'avenir que jamais tu ne verras .

N'implore pas clémence à la mort

afin de voir tes caresses brunes grandir;

les cieux sont sourds et en toi commande l'obscur;

surtout tu auras une rouge vengeance,

je le jure a l'exacte mesure de mes idéaux

tes petits-enfants vivront tous l'aurore .

Meurs en paix, vielle combattante.

Tu va mourir, vielle María,

trente ébauches de linceul

te diront adieu d'un regard,

le jour proche de ton départ.

Tu vas mourir, vieille Marìa,

les murs de la salle resteront muets

même si la mort se conjugue avec l'asthme

et copule amoureusement avec lui dans la gorge.

Ces trois caresses faites de bronze

(la seule lumière qui soulage ta nuit),

ces trois petits-enfants drapés de faim,

regretteront les noeuds des vieux doigts

où toujours ils trouvèrent quelque sourire.

Ce sera tout, vieille María.

Ta vie fut un rosaire de maigres agonies,

elle n'eut ni homme aimé, ni santé, ni joie,

juste la faim à partager,

ta vie fut triste, vieille María.

Lorsque l'annonce de l'éternel repos

trouble la douleur de tes pupilles,

lorsque tes mains de perpétuelle souillon

absorberont la dernière innocente caresse,

pense à eux . . . et pleure,

pauvre vieille María.

Non, ne le fais pas !

n'implore pas clémence à la mort,

ta vie horriblement habillée de faim,

s'achève habillée d'asthme.

Mais je veux t'annoncer,

avec une voix basse et virile, les espérances,

la plus rouge et virile des vengeances

je veux le jurer à l'exacte

mesure de mes idéaux.

Prends cette main d'homme qui paraît être celle d'un enfant

dans les tiennes usées par le savon jaune,

frotte tes cals durs et les noeuds purs de tes doigts

à la honteuse douceur de mes mains de médecin .

Repose en paix, vieille María,

repose en paix, vieille combattante,

tes petits-enfants vivront tous l'aurore,

Je le jure !

Che Guevara, 1967


lettre d'un adolescent à Djamila Bouhired

Lettre d'un adolescent
à Djamila Bouhired


Ton nom est une légende
cette légende qui s'est insinuée
dans l'utérus de ma mère
et c'est ainsi que je t'ai connue
avant de naître
et c'est grâce à toi
que je suis né
.................libre

Djamal Benmerad
Journaliste, écrivain
Bruxelle

dimanche 21 février 2010

Le rêve d'un esclave noir

Le rêve d'un esclave noir

Par Alphonse de Lamartine


TOUSSAINT
Avancez,
Mes enfants, mes amis, frères d’ignominie !
Vous que hait la nature et que l’homme renie ;
A qui le lait d’un sein par les chaînes meurtri
N’a fait qu’un cœur de fiel dans un corps amaigri ;
Vous, semblables en tout à ce qui fait la bête ;
Reptiles, dont je suis et la main et la tête !
Le moment est venu de piquer aux talons
La race d’oppresseurs qui nous écrase... Allons !
Ils s’avancent ; ils vont, dans leur dédain superbe.
Poser imprudemment leurs pieds blancs sur notre herbe :
Le jour du jugement se lève entre eux et nous !
Entassez tous les maux qu’ils ont versés sur vous :
Les haines, les mépris, les hontes, les injures,
La nudité, la faim, les sueurs, les tortures,
Le fouet et le bambou marqués sur votre peau,
Les aliments souillés, vils rebuts du troupeau ;
Vos enfants nus suçant des mamelles séchées ;
Aux mères, aux époux les vierges arrachées.
Comme, pour assouvir ses brutaux appétits,
Le tigre à la mamelle arrache les petits ;
Vos membres, dévorés par d’immondes insectes,
Pourrissant au cachot sur des pailles infectes ;
Sans épouse et sans fils vos vils accouplements,
Et le sol refusé même à vos ossements,
Pour que le noir, partout proscrit et solitaire,
Fût sans frère au soleil et sans Dieu sur la terre !
Rappelez tous les noms dont ils vous ont flétris,
Titres d’abjection, de dégoût, de mépris ;
Comptez-les, dites-les, et, dans notre mémoire,
De ces affronts des blancs faisons-nous notre gloire !
C’est l’aiguillon saignant qui, planté dans la peau,
Fait contre le bouvier regimber le taureau ;
Il détourne à la fin son front stupide et morne.
Et frappe le tyran au ventre avec sa corne.
Vous avez vu piler la poussière à canon
Avec le sel de pierre et le noir de charbon ;
Sur une pierre creuse on les pétrit ensemble ;
On charge, on bourre, et feu ! le coup part, le sol tremble.
Avec ces vils rebuts de la terre et du feu,
On a pour se tuer le tonnerre de Dieu.
Eh bien ! bourrez vos cœurs comme on fait cette poudre :
Vous êtes le charbon, le salpêtre et la poudre ;
Moi, je serai le feu ; les blancs seront le but !
De la terre et du ciel méprisable rebut,
Montrez en éclatant, race à la fin vengée,
De quelle explosion le temps vous a chargée !
(Il se penche, et écoute un moment à terre.)
Ils sont là !... là, tout près,... vos lâches oppresseurs !
Du pauvre gibier noir exécrables chasseurs,
Vers le piége caché que ma main va leur tendre,
Ils montent à pas sourds et pensent nous surprendre.
Mais j’ai l’oreille fine, et, bien qu’ils parlent lias,
Depuis le bord des mers j’entends monter leurs pas.
Chut !... leurs chevaux déjà boivent l’eau des cascades ;
Ils séparent leur troupe en fortes embuscades,
Ils montent un à un nos âpres escaliers :
Ils les redescendront, avant peu, par milliers.
Que de temps pour monter le rocher sur la butte !
Pour le rouler en bas, combien ? une minute !
......................................................................
......................................................................
Avez-vous peur des blancs ? Vous, peur d’eux ! et pourquoi ?
J’en eus moi-même aussi peur : mais écoutez-moi...
Au temps où, m’enfuyant chez les marrons de nie,
Il n’était pas pour moi d’assez obscur asile,
Je me réfugiai pour m’endormir, un soir,
Dans le champ où la mort met le blanc près du noir,
Cimetière éloigné des cases du village,
Où la lune en tremblant glissait dans le feuillage.
Sous les rameaux d’un cèdre aux longs bras étendu,
A peine mon hamac était-il suspendu,
Qu’un grand tigre, aiguisant ses dents dont il nous broie,
De fosse en fosse errant, vint flairer une proie.
De sa griffe acérée ouvrant le lit des morts,
Deux cadavres humains m’apparurent dehors :
L’un était un esclave, et l’autre était un maître.
Mon oreille des deux l’entendit se repaître,
Et quand il eut fini ce lugubre repas,
En se léchant la lèvre il sortit à longs pas.
Plus tremblant que la feuille et plus froid que le marbre,
Quand l’aurore blanchit, je descendis de l’arbre
Je voulus recouvrir d’un peu du sol pieux
Ces os de notre frère exhumés sous mes yeux.
Vains désirs, vains efforts ! De l’un, l’autre squelette,
Le tigre avait laissé la charpente complète,
Et, rongeant les deux corps de la tête aux orteils,
En leur ôtant la peau les avait faits pareils.
Surmontant mon horreur : « Voyons, dis-je en moi-même,
Où Dieu mit entre eux deux la limite suprême ;
Par quel organe à part, par quel faisceau de nerfs,
La nature les fit semblables et divers ;
D’où vient entre leur sort la distance si grande ;
Pourquoi l’un obéit, pourquoi l’autre commande. »
A loisir je plongeai dans ce mystère humain,
De la plante des pieds jusqu’aux doigts de la main ;
En vain je comparai membrane par membrane :
C’étaient les mêmes jours perçant les murs du crâne.
« Mêmes os, mêmes sens, tout-pareil, tout égal,
Me disais-je ; et le tigre en fait même régal,
Et le ver du sépulcre et de la pourriture
Avec même mépris en fait sa nourriture !
Où donc la différence entre eux deux ?... Dans la peur.
Le plus lâche des deux est l’être inférieur. »
Lâche ? Sera-ce nous ? Et craindrez-vous encore
Celui qu’un ver dissèque et qu’un chacal dévore ?
Alors tendez les mains et marchez à genoux :
Brutes et vermisseaux sont plus hommes que nous !
Ou si du cœur du blanc Dieu nous a fait les fibres,
Conquérez aujourd’hui le sol des hommes libres !
L’arme est dans votre main, égalisez les sorts !
LES NOIRS, avec acclamations.
Liberté pour nos fils, et pour nous mille morts !
TOUSSAINT.
Mille morts pour les blancs, et pour nous mille vies !...
Les voici, je les tiens ! leurs cohortes impies
Sur nos postes cachés vont surgir tout à coup.
Silence jusque-là ! puis, d’un seul bond, debout !
Qu’au signal attendu du premier cri de guerre,
Le peuple sous leurs pieds semble sortir de terre !
Chargez bien vos fusils, enfants, et visez bien !
Chacun tient aujourd’hui son sort au bout du sien.
A vos postes ! allez !
(Ils s’éloignent. Toussaint rappelle les principaux chefs, et leur serre
la main tour à tour.)
A revoir, demain, frère !
Ou martyrs dans le ciel, ou libres sur la terre !
(Après un moment de silence. )
Mais il faut vous laisser conduire par un fil,
Sans demander : « Pourquoi ? Que veut-il ? que fait-il ? »
Que chaque âme de noir aboutisse à mon âme !
Toute grande pensée est une seule trame
Dont les milliers de fils, se plaçant à leur rang,
Répondent comme un seul au doigt du tisserand ;
Mais si chacun résiste et de son côté tire,
Le dessin est manqué, la toile se déchire.
Ainsi d’un peuple, enfants ! Je pense : obéissez !
Pour des milliers de bras, une âme c’est assez !
LES NOIRS.
Oui, nous t’obéirons : toi le vent, et nous l’onde !
Toussaint sur Haïti, comme Dieu sur le monde !
TOUSSAINT.
Eh bien ! si vous suivez mon inspiration,
Vous étiez un troupeau : je vous fais nation !
......................................................................
......................................................................
(Ils tombent à ses pieds.)


Alphonse de Lamartine

Fragment publié en 1843.
ps: Extrait de "Recueillements poétiques",1839 (Édition de 1863)

VOCATION


Vocation


Un soir il lui dit :

Réveille-moi tôt

je pense mourir demain


Ils passent leur temps à mourir

à l’ombre d’un olivier

à la sortie de la mosquée

où à l’entrée d’un poème


Ainsi en est-il

des habitants de Gaza :

chaque fois que l’un tombe

le suivant se présente

au guichet de la mort


Mais vous verrez

désormais

ils ne feront pas que mourir



Djamal Benmerad
Journaliste, écrivain
Bruxelles

CALIBRE

Calibre

Ils comptent une à une

les vertèbres de nos jours

pendant qu’à notre tour

nous crions dans l’arène :

Ghaza ! Ghaza !

Ceux qui vont mourir te saluent !


Mais ne t’inquiète pas

mon amour

les vertèbres de la Résistance

font du douze millimètres



Djamal Benmerad
Journaliste, écrivain
Bruxelles

L'homme manquant

L’homme manquant

« Vous n’êtes guère nombreux »

me dit le dictateur avec mépris

Alors j’ai compté mes hommes

il en manquait un :

celui qui est parti

...............déposer la bombe


Djamal Benmerad
Journaliste, écrivain
Bruxelles

jeudi 18 février 2010

A mon amie inconnue

A mon amie inconnue

Ta lumière cerne ma nuit
et cette ville où habitent
tant de silences liés
par une corde d'indifférence
qui regarde ailleurs
chaque fois qu'un Homme tombe
sous les éclats
........................ d'un Tomahawk

(
Samedi 19 avril 2008)


Djamal Benmerad
Journaliste, écrivain
Bruxelles

mercredi 17 février 2010

ils étaient cent mille

Ils étaient cent mille


1


Ils étaient cent mille

Ils étaient hommes
A bousculer l’enfer

Dans la poussière

Des hogras millénaires

Bedonnantes et lippues

Sous leur marche solaire

Pour écraser l’infâme !


2


Ils venaient de partout…

D'El Kseur et de Tizi Ouzou

De Larbaâ et de Seddouk

De Bejaia, de Tabbouda

D'Ilmatten et d'Imoula…

Ils venaient de toutes les crêtes
Aux fleurs de résistance

Et aux yeux de fière insolence…

Tous cheveux au vent
Et poitrines offertes

À la mitraille ouverte

De nos derniers colons…

A Akbou rassemblés
Pour retrouver d’Ifri

Les sources de Novembre…

Et traverser le temps
L’histoire aux ailes déployées

Aigle bleu tournoyant

Sur nos crêtes absolues

Et nos pitons têtus.


3

Ils venaient de partout

A l'appel des ancêtres

Les yeux brûlants

De tous les espoirs déçus

Des chemins de traverse

A perte de rumeurs

Ne menant nulle part

Pour entendre leurs voix

S'élever du fond de la vallée…

Youghourta, Massinissa
Oubliés

Et bannis de mémoire…

Boudiaf assassiné
Fatima et Hassiba suppliciées

Abdelkader l'Emir

Et Abane l'avenir

Bâillonnés

Par crapules au pouvoir.


4


Et pendant ce temps là

Les gros rats se terraient

Dans leurs palais d'été

En fumant des havanes

Entre les cuisses nues

De leurs femmes

En pavane.


5


Ils venaient de partout

Descendus …

De leurs pitons crochus

Désertés par les blés

De moissons à rêver

D'oliviers centenaires…

Et de figuiers crochus

Aux racines colère…

Leur misère portée
À bras tendus

Pour ne plus leur laisser

Le droit d’écrire l’histoire

Et de tordre le cou

Au viol de la mémoire.


6


Ils venaient pour semer

À pleines poignées

L’espoir et la rosée

qui fécondent

Le sillon que l’Homme Libre a tracé

Un jour de pleine vérité !


Baghdadi Si Mohamed

lundi 15 février 2010

Le père Duchesne


Le père Duchesne


Né en nonante-deux

Nom de dieu

Mon nom est Père Duchesne

Marat fut généreux

Nom de dieu

Á qui lui porta haine

Sang dieu

Je veux parler sans gêne

Nom de dieu


Coquin filou peureux

Nom de dieu

Vous m’appelez canaille

Dès que j’ouvre les yeux

Nom de dieu

Jusqu’au soir je travaille

Sang dieu

Et je couche sur la paille

Nom de dieu


On nous promet les cieux

Nom de dieu

Pour toute récompense

Tandis que ces messieurs

Nom de dieu

S’arrondissent la panse

Sang dieu

Nous crevons d’abstinence

Nom de dieu

Pour mériter les cieux

Nom de dieu


Voyez vous ces bougresses

Au vicaire le moins vieux

Nom de dieu

S’en aller à confesse

Sang dieu

Se faire peloter les fesses

Nom de dieu


Si tu veux être heureux

Nom de dieu

Pends ton propriétaire

Coupe les curés en deux

Nom de dieu

Fous les églises par terre

Sang dieu

Et le bon Dieu dans la merde

Nom de dieu


Peuple trop oublieux

Nom de dieu

Si jamais tu te lèves

Ne sois pas généreux

Nom de dieu

Patrons bourgeois et prêtres

Sang dieu

Méritent la lanterne

Nom de dieu !

Nom de dieu

anonyme

Elle n'est pas morte !

Elle n'est pas morte !

Ils l'ont tuée à coups d'chassepots,
À coups de mitrailleuses,
Et roulée avec son drapeau
Dans la terre argileuse !
Et la tourbe des bourreaux gras
Se croyait la plus forte.
Refrain :
Tout ça n'empêche pas, Nicolas,
Qu'la Commune n'est pas morte !
Comme faucheurs rasant un pré,
Comme on abat des pommes,
Les Versaillais ont massacré
Pour le moins cent-mille hommes !
Et les cent-mille assassinats,
Voyez c'que ça rapporte...
Refrain
Ils ont fait acte de bandits,
Comptant sur le silence,
Achevé les blessés dans leur lit,
Dans leur lit d'ambulance !
Et le sang inondant les draps
Ruisselait sour la porte !
Refrain
Les journalistes, policiers,
Marchands de calomnies,
Ont répandu sur nos charniers
Leurs flots d'ignominies !
Les Maxime Ducamp, les Dumas
Ont vomi leur eau-forte.
Refrain
C'est la hache de Damoclès
Qui plane sur leurs têtes :
À l'enterrement de Vallès,
Ils en étaient tout bêtes,
Fait est qu'on était un fier tas
À lui servir d'escorte !
Refrain :
C'qui prouve en tout cas, Nicolas,
Qu'la Commune n'est pas morte.
Bref, tout ça prouve aux combattants
Qu'Marianne a la peau brune,
Du chien dans l'ventre et qu'il est temps
D'crier : « Vive la Commune ! »
Et ça prouve à tous les Judas
Qu'si ça marche de la sorte,
Refrain :
Ils sentiront dans peu, nom de Dieu,
Qu'la Commune n'est pas morte !

Eugène Pottier

A Louise Michel






Comme une blessure

Femme - barricade au-delà des ans
Femme - barricade pour tous les mendiants
De la Butte Rouge au bagne là-bas
Pour cette Commune que je porte en moi
Comme une blessure

Louise Michel d’un rêve présent
Louise Michel d’un autre printemps
De cerises noires rue des Insoumis
Femme de révolte et de graffitis
Gravés sur des murs

Symbole de nuit pour les versaillais
Symbole des femmes qui se sont levées
Tant de cris jetés pour la liberté
Dans ce monde clos qu’on nous a bradé
Au vent des ordures

Louise Michel d’un dernier espoir
Louise Michel de la contre-Histoire
Il pleut ce matin sur un Paris mort
Des femmes refont un coin du décor
Une autre parure

Louise Michel d’un autre regard
Louise venue d’une autre mémoire
Il me reste encor tes mots en allés
Ces bribes de vie que je chanterai
Comme une blessure
Comme une blessure.

Verdier

dimanche 14 février 2010

je veux montrer la foule

Je veux montrer la foule

Je veux montrer la foule et chaque homme en détail
Avec ce qui l'anime et qui le désespère
Et sous ses saisons d'homme tout ce qui l'éclaire
Son espoir et son sang son histoire et sa peine

Je veux montrer la foule immense divisée
La foule cloisonnée comme un cimetière
Et la foule plus forte que son ombre impure
Ayant rompu ses murs ayant vaincu ses maîtres


Paul Eluard

Scorpion

SCORPION


Pareil au scorpion

Toute colère dehors

J’avance avec le feu du jour

Et le premier esclave que je rencontre

Je le remplis de ma violence

Je le pousse en avant ma lance déployée

Et que la verve des scorpions le prenne

Et que le vent du feu l’enlève

Chaque jour plus léger

Kateb Yacine

vendredi 12 février 2010

nos morts

Nos morts…


Nos morts gardent la bouche ouverte

comme pour te décerner

une dernière injure



Djamal Benmerad
Journaliste, écrivain
Bruxelles

mercredi 10 février 2010

la berceuse et le fusil

La berceuse et le fusil

Elle lui chantait une berceuse

avant d’aller prendre

son tour de guet

La rafale de l’Uzi*

a tronçonné la berceuse d’abord

........................puis le bébé


(*) Uzi : fusil-mitrailleur de marque israélienne



Djamal Benmerad
Journaliste, écrivain
Bruxelles

Le chant du père


Le chant du père

En arrivant

j’ai trouvé ton cahier d’écolier

avec un poème perdu dedans

A trop le lire je souhaite

mon enfant

mourir moins lentement que toi

mon enfant

dont la tête a roulé plus vite

que le viol de tes sœurs

mon enfant

dont la tête a roulé dans la poussière

moins vite que la souffrance

de Guernica à Ramallah



Djamal Benmerad

Journaliste, écrivain
Bruxelles

mardi 9 février 2010

la victoire de Guernica




Beau monde des masures
De la nuit et des champs


Visages bons au feu visages bons au froid
Aux refus à la nuit aux injures aux coups


Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple

La mort cœur renversé

Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie


Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses


Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde


Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs


Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent


Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang


La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile


Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché


Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir


Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.

Paul Eluard

je hais ce peuple

Je hais ce peuple !

Je hais ce pauvre
qui se complaît
dans sa pauvreté
sans se révolter
cet homme qui fait l'amour
en regardant sa montre
à la femme qui ronfle
les jambes écartées
Je hais le travailleur
content de son salaire
et les femmes féministes
qui pour être égales à l'homme
veulent uriner debout
Je hais les bourreaux
et la victime complice
de son bourreau
Je hais l'Homme
.............................satisfait

Je hais le peuple
........................ce peuple-là

Djamal Benmerad

Journaliste, écrivain
Bruxelles


lundi 8 février 2010

paroles de mère

Paroles de mère

Va mon fils, ramasse tes pierres
Et tend ta fronde
On me traite de mère indigne
Qui envoie son fils à la mort
Mais es-tu vraiment resté mon fils
Ou la mort de ton père n'a pas fait de toi l'homme de la famille
Va mon fils l'indignité n'est pas de mon côté
L'indignité est du côté de ceux qui t'ont visé comme un lapin
Avec leur lunettes et leurs chars
On me dit pourquoi tu l'envoies à la mort
Mais il est déjà mort, il est déjà allé à la mort
Depuis le jour où il est né
Dans ces camps de toile chassé de son pays
Chassé de mon jardin que j'avais en Palestine
On ma pris mon jardin et on a fait un bloc de pierre
Et transformé les orangers en miradors
Et moi je ne vis plus de chagrin
D'avoir perdu mon jardin en Palestine
Mon fils n'a vu que des barbelés, des casques et des blindés
Qui l'entourent et l'empêchent de sortir
Il n'a pas vu les fleurs d'orangers du mois d'avril
Il n'a pas senti leur parfum
C'est l'odeur des blindés et des balles qui lui remplissent le nez
Alors il a pris les pierres sans me le dire
Et il est allé face à la mort
Pour revivre
On le qualifie de jeune mais il n'a jamais été jeune
Le malheur et les épreuves ont triplé ses jours
Il n'a jamais joué aux billes ou à la marelle
Mais au fusil et au pistolet
Va mon fils tu n'es pas jeune
Et pourtant j'aimerais bien te tenir contre ma poitrine
Te cajoler te caresser comme aux premiers jours de ta vie
Mais ce n'est pas possible
Car tu es un homme maintenant
Les balles, les obus, les roquettes
T'épargneront peut-être ou te toucheront
Je bénirai Allah ou je pleurerai
Mais seule dans l'obscurité de ma chambre
Entourée de tes frères et sûrs qui prendront ta relève
Et si tu reviens réduit et paralysé
Je te soignerai et tu vivras
Pour voir refleurir les orangers
Sur la terre de Palestine
Allez mes hommes reprenez courage
Nous sommes les plus forts car nous avons le droit
Un jour viendra où refleurira l'oranger
De Palestine

Douraid Houalla

dimanche 7 février 2010

identité

Mahmoud Darwich : Inscris : Je suis Arabe - Nouvel Obs
Voici une lecture du célèbre poème de Mahmoud Darwich "Identité", sous-titré en français par un internaute qui a posté sur Daily Motion de nombreuses vidéos du poète palestinien.Toutes les vidéos de l`internaute "La Pierre et la Plume" sur Daily Motion

samedi 6 février 2010

poussières de juillet


Poussières de juillet

Le sang
Reprend racine
Oui
Nous avions tout oublié
Mais notre terre
En enfance tombée
Sa vieille ardeur se rallume
Et même fusillés
Les hommes s’arrachent la terre
Et même fusillés
Ils tirent la terre à eux
Comme une couverture
Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir
Et sous la couverture
Aux grands trous étoilés
Il y a tant de morts
Tenant les arbres par la racine
Le cœur entre les dents

Il y a tant de morts
Crachant la terre par la poitrine
Pour si peu de poussière
Qui nous monte à la gorge
Avec ce vent de feu

N’ enterrez pas l’ancêtre
Tant de fois abattu
Laissez-le renouer la trame de son massacre

Pareille au javelot tremblant
Qui le transperce
Nous ramenons à notre gorge
La longue escorte des assassins.

Kateb Yacine

Partir

Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?

Aimé Césaire

vendredi 5 février 2010

vos enfants...


Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps
mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
[...]
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie.

Khalil Gibran

Raison du cri


RAISON DU CRI


s'il n'y avait ce cri,

en forme de pierre aiguë
et son entêtement à bourgeonner

s'il n'y avait cette colère,
ses élancements génésiques
et son soc constellant,

s'il n'y avait l'outrage,
ses limaces perforantes
et ses insondables dépotoirs,

l'évocation ne serait plus
qu'une canonnade de nostalgies,
qu'une bouffonnerie gluante,

le pays ne serait plus
qu'un souvenir-compost,
qu'un guet-apens
pour le larmier.
Tahar Djaout

Prophétie



Prophétie


où l'aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois


là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux



là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d'une ruche
plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit l'espace et lève
à rebours la face du temps
là où l'arc-en-ciel de ma parole est chargé d'unir demain
à l'espoir et l'infant à la reine,


d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan
d'avoir gémi dans le désert
d'avoir crié vers mes gardiens
d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes


je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant
de la scène ourle un instant la lave
de sa fragile queue de paon puis se déchirant
la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et
je la regarde en îles britanniques en îlots
en rochers déchiquetés se fondre
peu à peu dans la mer lucide de l'air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.


Aimé Césaire

La tzigane



C'est auprès du feu,
Quand il ne peut plus marcher sur la route,
Que le Manouche voyage le plus loin.
Le vent lui raconte
Les paysages qu'il a traversés.
Les hommes qu'il a rencontrés.
Les espaces bordés de haies, les hérissons qui s'y cachent.
Pour lui...le voyage ne s'arrête jamais.


La Tzigane savait d'avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l'Espérance
L'amour lourd comme un ours privé
Dansa debout quand nous voulûmes
Et l'oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Avé

On sait très bien que l'on se damne
Mais l'espoir d'aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
À ce qu'a prédit la tzigane


Guillaume Apollinaire

Bohémiens en voyage


Bohémiens en voyage


La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.

Charles Baudelaire

mercredi 3 février 2010

Soeurs d'espérance


Soeurs d'espérance

Soeurs d'espérance ô femmes courageuses
Contre la mort vous avez fait un pacte
Celui d'unir les vertus de l'amour

O mes soeurs survivantes
Vous jouez votre vie
Pour que la vie triomphe

Le jour est proche ô mes soeurs de grandeur
Où nous rirons des mots guerre et misère
Rien ne tiendra de ce qui fut douleur

Chaque visage aura droit aux caresses.


Paul Eluard

la nuit descend


La nuit descend


La nuit descend
On y pressent
Un long destin de sang


Guillaume Apollinaire