La Moisson des Lys
Prenons la faucille et la gourde.
J’aperçois l’orient qui luit.
La chaleur tantôt sera lourde.
Profitons d’un reste de nuit.
Tous en marche, et point de paresse.
Appelez, cognez aux volets.
Je sais une moisson qui presse
Plus que les seigles et les blés.
Moissonneur, mets le bât sur l’âne,
Vois si les flacons sont remplis,
Prends ta faucille paysanne
Et va couper des fleurs de lys !
Depuis quatre mois, ô délices,
On ne voyait sous le ciel bleu
Que Lys purs dressant leurs calices,
Peuplés de bêtes à bon Dieu ;
“ Si tous ces lys montent en graine,
Murmurait de peuple insolent
La France à la saison prochaine
Ne sera plus qu’un champ tout blanc ”.
Et plein d’une aimable surprise,
“ Ah ! soupirait le roi Henri,
Que de lys tremblant sous la brise !
Comme ma France a refleuri !
“ Des lys ! j’en ai là pour les mitres,
Pour les coussins, pour les manteaux,
J’en ferai graver sur mes vitres,
Et j’en broderai mes châteaux.
“ Des lys, des lys sans qu’on les compte ;
Venez, prélats et courtisans ;
Cent pour toi, duc, vingt pour toi, comte ;
Et qu’on rosse ces paysans !
“ Après, en vrai roi gentilhomme,
Nous irons, rien n’est plus aisé,
Planter sur les remparts de Rome
Mon étendard fleurdelisé.
Mais voici que le matin brille… ”
Le peuple, ouvrier diligent,
A sorti sa grande faucille,
Et fait tomber les fleurs d’argent.
Et puis, les ayant ramassées,
Dans les fossés du grand chemin,
Il les entasse par brassées.
L’eau les emportera demain.
Maintenant, buvons deux rasades,
Les lys ne repousseront pas.
Mais vous oubliez, camarades,
Que la moisson attend là-bas.
En route ! les blés sont superbes.
La cigale crie aux échos,
Et nous mêlerons à nos gerbes
Quelques rouges coquelicots.
Moissonneur, mets le bât sur l’âne,
Vois si les flacons sont remplis,
Car ta faucille paysanne
N’a pas laissé de fleurs de lys.
Provence, juillet 1871