jeudi 19 juillet 2012

État de siège
 
 

Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps

Près des jardins aux ombres brisées,

Nous faisons ce que font les prisonniers,

Ce que font les chômeurs : Nous cultivons l'espoir.

***

Un pays qui s'apprête à l'aube.

Nous devenons moins intelligents car nous épions l'heure de la victoire :

Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage.

Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière  dans l'obscurité des caves.

***

Ici, nul " moi ".

Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile.

***

Au bord de la mort, il dit :

Il ne me reste plus de trace à perdre.

Libre je suis tout près de ma liberté.

Mon futur est dans ma main.

Bientôt je pénètrerai ma vie, je naîtrai libre, sans parents,et je choisirai pour mon nom des lettres d'azur.

***

Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez, buvez avec nous le café arabe.

Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous.

Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons, sortez de nos matins,

Nous serons rassurés d'être des hommes comme vous !

***

Quand disparaissent les avions, s'envolent les colombes blanches blanches,

elles lavent la joue du ciel avec des ailes libres,

elles reprennent l'éclat et la possession de l'éther et du jeu.

Plus haut, plus haut s'envolent les colombes, blanches blanches.

Ah si le ciel était réel [m'a dit un homme passant entre deux bombes]

***

Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant le ciel de l'affaissement.

Derrière la haie de fer, des soldats pissent - sous la garde d'un char -

Et le jour automnal achève sa promenade d'or dans une rue aste telle une église après la messe dominicale.

***

[A un tueur]

Si tu avais contemplé le visage de la victime et réfléchi,

tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre à gaz,

tu te serais libéré de la raison du fusil

Et tu aurais changé d'avis :

ce n'est pas ainsi qu'on retrouve une identité.

***

Le siège est attente

Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête.

***

Seuls, nous sommes seuls jusqu'à la lie,

s'il n'y avait les visites des arcs-en-ciel.

***

Nous avons des frères derrière cette étendue.

Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent et
pleurent.

Puis ils se disent en secret :

" Ah ! si ce siège était déclaré. " Ils ne terminent pas leur phrase :

" Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas. "

***

Nos pertes : entre deux et huit martyrs chaque jour.

Et dix blessés.

Et vingt maisons.

Et cinquante oliviers.

S'y ajoute la faille structurelle qui atteindra le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée.

***

Une femme a dit au nuage :

couvre mon bien-aimé, car mes vêtements sont trempés de son sang.

***

Si tu n'es pluie, mon amour

Sois arbre rassasié de fertilité,

sois arbre

Si tu n'es arbre mon amour

Sois pierre saturée d'humidité,

sois pierre

Si tu n'es pierre mon amour

Sois lune dans le songe de l'aimée,

sois lune

[Ainsi parla une femme à son fils lors de son enterrement]

***

Ô veilleurs ! N'êtes-vous pas lassés de guetter la lumière dans notre sel, et de l'incandescence de la rose dans notre blessure

N'êtes-vous pas lassés Ô veilleurs ?

***

Un peu de cet infini absolu bleu suffirait

à alléger le fardeau de ce temps-ci

Et à nettoyer la fange de ce lieu

***

A l'âme de descendre de sa monture et de marcher sur ses pieds de soie à mes côtés, main dans la main, tels deux amis de longue date, qui se partagent le pain ancien et le verre de vin antique

Que nous traversions ensemble cette route

Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes :

Moi, au-delà de la nature, quant à elle,

elle choisira de s'accroupir sur un rocher élevé.

***

Sur mes décombres pousse verte l'ombre, et le loup somnole sur la peau de ma chèvre.

Il rêve comme moi, comme l'ange
que la vie est ici. non là-bas.

***

Dans l'état de siège, le temps devient espace pétrifié dans son éternité

Dans l'état de siège, l'espace devient temps qui a manqué son hier et son lendemain.

***

Le martyr m'encercle chaque fois que je vis un nouveau jour et m'interroge :

Où étais-tu ?

Ramène aux dictionnaires toutes les paroles que tu m'as offertes

et soulage les dormeurs du bourdonnement de l'écho.

***

Le martyr m'éclaire :

je n'ai pas cherché au-delà de l'étendue les vierges de l'immortalité

car j'aime la vie sur terre,

parmi les pins et les figuiers,

mais je ne peux y accéder,

aussi y ai-je visé avec l'ultime chose qui m'appartienne :

le sang dans le corps de l'azur.

***

Le martyr m'avertit :

Ne crois pas leurs youyous

Crois mon père quand il observe ma photo en pleurant

Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils, et m'as-tu précédé
?

Moi d'abord, moi le premier !

***

Le martyr m'encercle :

je n'ai changé que ma place et mes meubles frustes.

J'ai posé une gazelle sur mon lit,

et un croissant lunaire sur mon doigt,

pour apaiser ma peine.

***

Le siège durera afin de nous convaincre de choisir un asservissement qui ne nuit

Pas, en toute liberté !

***

Résister signifie :

s'assurer de la santé du cour et des testicules, et de ton mal tenace :

Le mal de l'espoir.

***

Et dans ce qui reste de l'aube, je marche vers mon extérieur

Et dans ce qui reste de la nuit, j'entends le bruit des pas en mon intérieur.

***

Salut à qui partage avec moi l'attention à l'ivresse de la lumière,

la lumière du papillon, dans la noirceur de ce tunnel.

***

Salut à qui partage avec moi mon verre dans l'épaisseur d'une nuit débordant les deux places :

Salut à mon spectre.

***

Pour moi, mes amis apprêtent toujours une fête d'adieu,

une sépulture apaisante à l'ombre de chênes

une épitaphe en marbre du temps

et toujours je les devance lors des funérailles :

Qui est mort. qui ?

***

L'écriture, un chiot qui mord le néant

L'écriture blesse sans trace de sang.

***

Nos tasses de café.

Les oiseaux les arbres verts

A l'ombre bleue, le soleil gambade d'un mur à l'autre telle une gazelle

L'eau dans les nuages à la forme illimitée

dans ce qu'il nous reste du ciel.

Et d'autres choses aux souvenirs suspendus

Révèlent que ce matin est puissant, splendide,

Et que nous sommes les invités de l'éternité.

Mahmoud Darwich

samedi 7 juillet 2012

Ghassan Kanafani (07/07/1972)

Pense à autrui

LES TROIS TAMIS
 Un jour, quelqu'un vint voir Socrate et dit:
"- Écoute, Socrate, il faut que je te raconte comment ton ami s'est conduit.
- Arrête! interrompit l'homme sage.
As-tu passé ce que tu as à me dire à travers les trois tamis?
- Trois tamis, dit l'autre, rempli d'étonnement?
- Oui, mon bon ami: trois tamis!
Examinons si ce que tu as à me dire peut passer par les trois tamis:
Le premier est celui de la vérité. As-tu contrôlé si tout ce que tu veux me
dire est VRAI?
- Non, je l'ai entendu raconter et...
- Bien, bien. Mais assurément, tu l'as fait passer à travers le deuxième
tamis. C'est celui de la bonté. Est-ce que ce que tu veux me raconter, si ce n'est
pas tout à fait vrai, est au moins quelques chose de BON?
- Hésitant, l'autre répondit: non, ce n'est pas quelque chose de bon, au contraire...
- Hum! dit le Sage, essayons de nous servir du troisième tamis et voyons
s'il est UTILE de me raconter ce que tu as envie de me dire...
- Utile? pas précisément.
- Eh bien! dit Socrate, en souriant, si ce que tu as à me dire, n'est ni
VRAI, ni BON, ni UTILE, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te
conseille de l'oublier! "

jeudi 17 février 2011

La volonté de vivre

Lorsqu'un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le Destin, de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
...Force est pour les chaînes de se briser.
Avec fracas, le vent souffle dans les ravins,
au sommet des montagnes et sous les arbres
disant :

"Lorsque je tends vers un but,
je me fais porter par l’espoir
et oublie toute prudence ;
Je n’évite pas les chemins escarpés
et n’appréhende pas la chute
dans un feu brûlant.
Qui n’aime pas gravir la montagne,
vivra éternellement au fond des vallées".

Je sens bouillonner dans mon cœur
Le sang de la jeunesse
Des vents nouveaux se lèvent en moi
Je me mets à écouter leur chant
A écouter le tonnerre qui gronde
La pluie qui tombe et la symphonie des vents.

Et lorsque je demande à la Terre :

"Mère, détestes-tu les hommes ?"

Elle me répond :

"Je bénis les ambitieux
et ceux qui aiment affronter les dangers.
Je maudis ceux qui ne s’adaptent pas
aux aléas du temps et se contentent de mener
une vie morne, comme les pierres.
Le monde est vivant.
Il aime la vie et méprise les morts,
aussi fameux qu’ils soient.
Le ciel ne garde pas, en son sein,
Les oiseaux morts
et les abeilles ne butinent pas
les fleurs fanées.
N’eût été ma tendresse maternelle,
les tombeaux n’auraient pas gardé leurs morts".

Par une nuit d’automne,
Lourde de chagrin et d’inquiétude,
Grisé par l’éclat des étoiles,
Je saoule la tristesse de mes chants,
Je demande à l’obscurité :

"La vie rend-elle à celui qu’elle fane
le printemps de son âge ? "

La nuit reste silencieuse.
Les nymphes de l’aube taisent leur chant.
Mais la forêt me répond d'une voix
aussi douce que les vibrations d'une corde :

" Vienne l'hiver, l'hiver de la brume,
l'hiver des neiges, l'hiver des pluies.
S'éteint l'enchantement,
Enchantement des branches
des fleurs, des fruits,
Enchantement du ciel serein et doux,
Enchantement exquis des prairies parfumées.
Les branches tombent avec leurs feuilles,
tombent aussi les fleurs de la belle saison.
Tout disparaît comme un rêve merveilleux
qui brille, un instant, dans une âme,
puis s'évanouit.
Mais restent les graines.
Elles conservent en elles le trésor
d'une belle vie disparue..."

La vie se fait
Et se défait
Puis recommence.
Le rêve des semences émerge de la nuit,
Enveloppé de la lueur obscure de l'aurore,
Elles demandent :

"Où est la brume matinale ?
Où est le soir magique ?
Où est le clair de lune ?
Où sont les rayons de la lune et la vie ?
Où est la vie à laquelle j'aspire ?
J'ai désiré la lumière au-dessus des branches.
J'ai désiré l'ombre sous les arbres"

Il dit aux semences :

"La vie vous est donnée.
Et vous vivrez éternellement
par la descendance qui vous survivra.
La lumière pourra vous bénir,
accueillez la fertilité de la vie.
Celui qui dans ses rêves adore la lumière,
la lumière le bénira là où il va."
En un moment pas plus long
qu'un battement d'ailes,
Leur désir s'accroît et triomphe.
Elles soulèvent la terre qui pèse sur elles
Et une belle végétation surgit pour contempler la beauté de la création.

La lumière est dans mon cœur et mon âme,
Pourquoi aurais-je peur de marcher dans l'obscurité ?
Je voudrais ne jamais être venu en ce monde
Et n'avoir jamais nagé parmi les étoiles.
Je voudrais que l'aube n'ait jamais embrassé mes rêves
Et que la lumière n'ait jamais caressé mes yeux.
Je voudrais n'avoir jamais cessé d'être ce que j'étais,
Une lumière libre répandue sur toute l'existence.

Abou El Kacem Chebbi (أبو القاسم الشابي ),
in Les chants de la vie (Aghani Al Hayat), .
Traduction de S. Masliah.

"Poème écrit à Tabarka le 16 septembre 1933, le poète était alors malade et en convalescence dans le nord de la Tunisie." (N. Arfaoui)

mercredi 16 février 2011


HORS LOGE DU TEMPS

« le combat est fini faute de combattants »

...Le temps menace d’exploser
Son porte-parole dit : « Tic ! Tac ! »
Hélas ! Il n’y a guère moyen de faire
A la guerre comme à la guerre :
Lui répondre du tac au tac.

Tahar Hamadache
20 mars 2001

jeudi 3 février 2011

JE TE LE DIS


Les instants de la journée

Coulent sans s’arrêter

Comme des âmes en peine

Devant l’absurdité

Ce qu’il faut de douleur

Pour briser les chaînes

Ce qu’il faut de fureur

Pour saisir le bonheur

Ce qu’il faut de larmes

Pour grandir les enfants

Pour briser les armes

Et les bras des tyrans

Veux-tu que je te dise

L’injustice me dégoûte

C’est comme une balise

Tout au long de ma route

Les damnés de la vie

Meurent abandonnés

Etouffés par la nuit

Des tueurs patentés

Ce qu’il faut de mort

Pour faire crier

Ce qu’il faut d’aurore

Pour rêver la liberté

Ce qu’il faut d’amour

Pour oublier la laideur

Ce qu’il faut de jours

Pour le sommeil d’une heure

Veux-tu que je te dise

L’injustice me dégoûte

C’est comme une balise

Tout au long de ma route

Le cœur des gens

Est un grand désert

Où souffle le vent

Du froid solitaire

Ce qu’il faut de sang

Pour brouiller les vues

Ce qu’il faut de chants

Pour déranger la rue

Ce qu’il faut de mépris

Pour faire rêver

Ce qu’il faut de gris

Pour un ciel dégagé

Veux-tu que je te dise

L’injustice me dégoûte

C’est comme une balise

Tout au long de ma route

CHABBI .M